Le temple de Philae, perle de l'Egypte.
Au siècle dernier, impressionné par
l'iconoclastie des bâtisseurs du premier barrage d'Assouan, Pierre Loti évoquait
dans « La Mort de Philae », « le bruit des anciennes pierres sculptées qui se
détachaient des murailles et tombaient dans l'eau noire »... Puis, pendant
trente ans (1934-1964), le lac de retenue engloutit l'île et ses temples, sauf
durant les mois de l'année où l'on rouvrait les vannes du barrage. Quand les
eaux atteignaient leur plus haut niveau, seul émergeait le sommet des deux
pylônes du temple d'Isis. En 1960, la construction du Nouveau Barrage, en amont
de l'île, vouait Philae à une mort certaine. On décida donc en 1968, de sauver
le site ; on construisit autour de l'île, en 1972, un immense batardeau
constitué de deux rangées de palplanches entre lesquelles on déversa un million
de mètres cubes de sable ; les eaux d'infiltration furent évacuées par pompage.
On démonta les temples en 40.000 blocs après les avoir
nettoyés et transportés à Algikia. Ces blocs furent mesurés par photogrammétrie,
ce qui permit aux ingénieurs de reconstituer, au millimètre près, leur aspect
originel (ce dernier procédé a été employé à Abou Simbel). Le démontage, le
transport et la reconstitution des monuments (poids total 27 000 tonnes) furent
effectués dans le temps record de trente mois.
Aujourd'hui Philae est sauvée, un récent
spectacle son et lumière (écrit par André Castelot) permet, sur l'île sainte, de
revivre sous la nuit étoilée, les mystères et les mythes d'Isis, ainsi que les
dernières grandes heures de l'Egypte pharaonique.
On visitera le Temple d'Isis (chaque
année, la déesse était transportée en barque vers l'île voisine de Biggeh afin
d'y rendre visite à son époux et frère Osiris). Le site comprend également le
Temple d'Hathor, la Porte d'Hadrien ; le Temple d'Arensnouphis et surtout le
Kiosque de Trajan, très photogénique lorsqu'on aborde l'île d'Algikia, du petit
bateau.
Avant le déplacement.
Le 1er pylône sous l'eau.
Le kiosque de Trajan innondé.
Voici comment le site était visité par les
touristes dans les années 60 et au début des années 70. Au fond le 1er pylône,
au milieu le kiosque de Trajan, derrière second pylône et le temple. A droite on
aperçoit la digue qui permettra d'assécher la zone pour le déplacement.
Le rempart érigé autour de l'île de Philae pour protéger le chantier. (env. 1972)
C'est sur l'îlot d'Agilkia, distant de 300
m du site de Philae, que sera reconstruit le grand temple d'Isis avec ses
diverses annexes. D'énormes travaux d'arasement ont eu lieu dans le granit pour
ménager une aire suffisante aux temples. La poussière du chantier s'élève de
cette île minuscule où les édifices seront bientôt à l'abri des flots.
PHILAE
Petite île de 460 mètres de longueur sur 150 mètres de largeur, Philae est
surnommée la perle de l’Égypte. C’est une des bosses de l’énorme barre de roches
granitiques qui, sur plusieurs kilomètres, constitue la première cataracte du
Nil, au sud immédiat d’Assouan. En ce lieu consacré à la déesse Isis, Nectanébo
Ier fit construire un élégant pavillon vers T 370, à la pointe méridionale de
l’île. Le monument principal est cependant le temple d’Isis qui en occupe la
partie centrale; il a été édifié par les souverains lagides sur un sanctuaire
antérieur, qui serait l’œuvre d’Amasis, pharaon de la XXVIe dynastie dont le nom
est attesté sur de nombreux blocs de remploi. Limitée de part et d’autre par un
portique à colonnes, une allée donnait accès au premier pylône du temple, haut
de 18 mètres; les reliefs de sa façade évoquent des exploits guerriers: en
présence des divinités Isis, Horus d’Edfou et Hathor, le roi Ptolémée XII Néos
Dionysos massacre les ennemis captifs, thème classique de l’iconographie
pharaonique. En avant subsistent les restes endommagés de deux lions de granite,
comme il y en a souvent devant les temples du Soudan et de Nubie; ils étaient
primitivement accompagnés de deux obélisques. Sur le côté ouest de la grande
cour se dresse le mammisi, décoré par Ptolémée VIII Évergète II et achevé sous
le règne de Tibère. Ce petit bâtiment annexe, consacré à la déesse Isis et au
dieu-enfant Horus-Harpocrate — auquel était identifié le roi —, servait de cadre
à la célébration du mystère de la naissance divine. Comme les autres mammisis,
celui de Philae est entouré d’un portique; au-dessus des murs
d’entrecolonnement, les colonnes dressent leurs chapiteaux, aux thèmes floraux
très variés, que surmontent les têtes hathoriques coiffées d’une sorte de naos:
la protection de la déesse de l’amour convenait particulièrement à ce sanctuaire
de la naissance; en traversant une cour et deux salles, on parvenait au
sanctuaire où sont figurés l’enfance d’Horus-Harpocrate, sa vie cachée dans les
marais pour échapper à Seth et son allaitement par Isis; d’autres
représentations du mammisi illustrent la naissance d’Horus et des scènes de
musique devant le nouveau-né.
Par un deuxième pylône, où l’on voit Ptolémée XII faisant des offrandes devant
plusieurs divinités, on pénétrait dans une autre cour du temple d’Isis, suivie
d’un vestibule à colonnes et de diverses antichambres. Dans le saint des saints
subsiste le tabernacle en granite que l’on nomme naos et qui autrefois abritait
la statue cultuelle d’Isis. Un escalier conduit à la chapelle d’Osiris, où des
cérémonies étaient célébrées pour la mort du dieu. À l’ouest, une porte
monumentale édifiée par l’empereur Hadrien est ornée de scènes osiriennes et
d’une représentation célèbre des sources du Nil.
À l’est du temple d’Isis se trouvait le petit sanctuaire d’Hathor, déesse de l’Amour,
commencé par les Ptolémées et continué par Auguste. Sur les colonnes, des
animaux jouant d’instruments de musique semblent annoncer les reliefs grotesques
de certains chapiteaux romans. Le dieu Bès , protecteur de l’amour et des
accouchements, danse et joue du tambourin ou de la double flûte afin de chasser
les démons malfaisants.
Plus au sud, le kiosque de Trajan dresse ses élégantes colonnes . Sur l’île
s’élevaient encore bien d’autres monuments, comme le temple d’Harendotès,
c’est-à-dire «Horus vengeur de son père», ou celui d’Auguste; un autre était
consacré à Imhotep, l’architecte de Djéser, divinisé par la suite; deux
nilomètres permettaient de mesurer le niveau du fleuve.
La renommée de Philae fut immense dans l’Antiquité. De très loin on venait en
pèlerinage dans le temple d’Isis. Même après l’interdiction du paganisme en
Égypte par Théodose, les Blemmyes, qui vénéraient tout particulièrement Isis,
obtinrent le maintien des sanctuaires de Philae, qui restèrent ouverts jusqu’au
VIe siècle, sous le règne de Justinien; des églises chrétiennes furent alors
installées sur le site.
Les chefs-d’œuvre d’architecture de Philae apparurent condamnés lorsqu’au début
de ce siècle on érigea le barrage d’Assouan; les ruines devaient être désormais
immergées presque totalement durant la plus grande partie de l’année; elles ne
devenaient accessibles que pendant quelques semaines d’été, lorsqu’on ouvrait le
barrage pour permettre aux eaux limoneuses et fertilisantes de s’écouler dans la
vallée. Paradoxalement, Philae a pu être sauvée grâce au haut barrage d’Assouan
(le Sadd al‘Ali) construit à quelques kilomètres en amont. Dans le cadre de la
campagne de sauvetage des monuments de la Nubie, on avait pensé tout d’abord
protéger l’île par une série de trois barrages annexes qui prendraient appui sur
la rive du fleuve d’une part et sur la grande île de Biggeh d’autre part. Mais
les difficultés techniques et surtout le coût de l’opération ont fait écarter ce
projet. La solution finalement adoptée fut celle du transfert des temples de
Philae dans la petite île d’Agilkia, à 300 mètres plus au nord. Cette entreprise
gigantesque a été menée grâce au concours de l’U.N.E.S.C.O. qui a lancé une
campagne internationale en vue de réunir les fonds nécessaires. La première
phase des travaux, commencés en 1972, a consisté à édifier des batardeaux
préserver temporairement les monuments de Philae tout en aménageant l’îlot d’Agilkia
en vue de sa nouvelle destination. L’opération de démontage a duré trois années
pleines de mai 1974 à mai 1977, et deux ans furent ensuite nécessaires pour
reconstituer minutieusement le puzzle sur Agilkia. Depuis le 10 mars 1980, jour
de l’inauguration du site, Philae est de nouveau accessible aux visiteurs.